Carnet de bord de Mauritanie

---------  janvier 2006  --------

06/01/2006
Incursion dans l’Adrar. Sur la route de Ouadane, à Agroul, dans une grotte décrite par Théodore Monot en 1938. Scène de chasse, et curieuses danses datant de 10 000 ans. Une légende locale prétend qu’ils ont été peints par les « Bafour »,

ou mauvaises gens, qui mesuraient 7 mètres de haut et mangeaient les troupeaux des premières populations.

En Mauritanie, je retrouve avec joie une population qui n’a que peu d’influence de la courte période coloniale, à l’image de l’Ethiopie.

Ici on échange d’égal à égal pas question que l’étranger prenne le rôle de donneur de leçon et c’est bien mieux ainsi.

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13/01/2006
Arrivée à l’aéroport de Nouadhibou. Le vol du matin a été reporté en fin de journée en raison de la mobilisation des moyens pour le pèlerinage à La Mecque.

Le Boeing 737-200 à destination de Las Palmas se pose sur le tarmac.

Nouadhibou, il y fait plus frais encore que dans la capitale.

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15/01/2006
Baie de l’Etoile. Test du kayak biplace en mer. Bonne stabilité, assez rapide, mer fantastique, si grand vent de face, cela ne va pas être facile du tout. L’eau semble très salée, le fond est bien visible, les mulets sautent hors de l’eau.

Je suis logé au centre de pêche créé en 1976 par Air Afrique. Un haut lieu de la pêche sportive connu de part le monde. Je fais des ronds dans l’eau pour la caméra dans les eaux calmes de la baie de l’Etoile. Cela pourra toujours servir et puis « comme ça c’est fait » comme on dit chez nous. Parce que je ne vais tout de même pas faire le clown devant cette caméra durant tout le voyage !

80 litres d’eau, un mois de nourriture, des vêtements chauds, pour la pluie aussi, c’est cela la clef de l’autonomie dans le Banc d’Arguin. J’ai pris l’option de n’être qu’un témoin qui passe. Tout ce qu’il me faut pour vivre est dans ce frêle esquif de 6,50 mètres qui pèse, armé, à peine 40 kilos. L’autonomie c’est aussi n’avoir aucune incidence sur le milieu, disons, du moins, le moins possible.

Donc, comme me le contait mon frère en quête de tranquillité absolue : « un homme pêche sans hameçon au bord de l’eau. Un autre passe et lui demande pourquoi. Il répond : les poissons ne m’ont rien fait donc je les laisse tranquille. » Plus sérieusement, lorsqu’on embarque un mois de vivres, ce n’est pas pour dépendre de la pêche.

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17/01/2006
Brouillard épais, visibilité à 50 mètres. Le temps est incroyablement variable. Faudra faire avec les éléments, le froid en fin de journée et la chaleur de midi.

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18/01/2006
Pluie et vent toute la nuit. Tiré le kayak sur plus de 60 mètres pour éviter la marée qui sera haute à 20h42. Il ne fait pas chaud, peut-être 15 C°. Le ciel est plombé. J’espère que le lieu ne sera pas inondé cette nuit.

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19/01/2006
Second jour de pluie. Cela doit être exceptionnel ! L’eau percolle à travers la toile de tente et j’ai mal aux épaules à cause du froid. Un chacal rentre dans les terres. Je décide d’y aller.

Arrivé à l’extrême nord de la Baie du Lévrier, par vent de face, je mets le cap sur une tâche noire. Une demie heure plus tard, je constate qu’il s’agit... d’un troupeau de moutons... fuyants sans doute la Tabaski.

Arrivé en vue d’une enfilade de très belles dunes. Le vent de face d’est/sud-est est très puissant et j’ai l’impression de ne pas avancer dans cette immensité où le sable se confond dans l’eau. Il a plu une bonne partie de la journée.

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20/01/2006
Le courant et le vent semblent dans le bon sens mais cela ne veut rien dire ici. Le soleil apparaît enfin. La mer est très belle, calme et turquoise. J’ai senti l’odeur de l’Océan. Je pense être à la même latitude que le Cap Blanc à l’ouest.

Encore vu un chacal qui m’observait monter la tente. Il était assis au sommet d’une dune.

Le soleil disparaissait à l’horizon.

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21/01/2006
Petit vent frais ce matin. La mer est un véritable miroir. Des flamants roses arpentent le rivage. Des traces de chacal marquent le sable autour de la tente. Escale sur un banc d’huîtres fossiles encombré de matelas d’algues rouges.

Premiers signes de présence humaine : trois anneaux métalliques enfoncé sur le promontoire. Nombreuses traces d’hyènes.

Atteint le Cap Sainte-Anne dans l’après-midi. Il s’agit d’un mini Banc d’Arguin magnifique pourvu d’une avancée en « L » où nichent de nombreuses espèces d’oiseaux. Navigation superbe et traversée de deux baies.

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22/01/2006
Il fait frais. Le kayak est recouvert de sable fixé par la pluie nocturne. Le sable est partout. Grosse tortue luth morte échouée à la pointe du Cap d’Arguin. Je suis enfin en vue de l’île, couleur sable en plein soleil. Doublé, par le Nord, une première île désertique, puis une seconde à l’aveuglette.

Impossible de passer la troisième à cause des vasières qui s’entendent jusqu’aux dunes lointaines de la côte. Pris pied sur l’île et aperçu des constructions dans le lointain. Il s’agit sans doute du village d’Agadir, la première implantation humaine depuis la Baie de l’Etoile.

Parti vers le Sud survolant les prairies marines de quelques centimètres d’où bondissent les poissons pris en eau basse. Installé le camp à la pointe sud de l’île d’Agadir. Pas vu un humain depuis une semaine.

Vers 20 heures, j’entends le bruit sourd d’un moteur au couple lent. Je pense alors que le village dispose peut-être d’un groupe électrogène. Le bruit se rapproche lentement. C’est sans doute le vent qui fait tournoyer son bruit lointain. J’aperçois une lueur au loin à la surface de l’eau plongée dans la nuit. Laissant mon repas, j’empoigne ma lampe frontale et fait des signes. Qui peut bien passer à cette heure-ci dans un bateau à moteur ? Ce ne peut être qu’une des vedettes de la Marine nationale en charge de la surveillance du parc.

La silhouette d’une pirogue se dessine dans la nuit bleue pétrole. Quelle est ma surprise de voir en descendre Anne et Olivier, rencontrés voici plus de deux semaines à Nouakchott ! Nous avions effectivement parlé d’une éventuelle rencontre le long de mon parcours lors d’un week-end. Ultime surprise, l’île d’Arguin inaugure aujourd’hui son campement de toile.

Je démonte le camp, confie une partie de ma cargaison à Anne qui repart à bord de la pirogue. Olivier prend place dans le kayak et nous suivons la pirogue en direction d’une lointaine lampe à pétrole installée sur les hauteurs d’Agadir. Arrivé sur place, le kayak est porté sur les hauteurs par une dizaine d’hommes étonnés de cette arrivée nocturne et surtout de cet engin étonnant ! Nous mangeons et prenons le thé jusqu’à minuit.

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23/01/2006
Relâche sur l’île d’Arguin. Je pense partir demain matin. Il fait très chaud sur ce caillou. 27,5 C° sous la tente. Manger un plat de riz au poisson bien gras. Tout le monde est parti faire la sieste, l’horizon danse dans l’air surchauffé. Le seul bateau à moteur revient lentement, lentement. Filmé le retour d’une lanche de la pêche. Ahmed Ould Muslim passe la soirée à faire du thé. Un, deux, trois verres du liquide sirupeux et épais. Le froid tombe, cinglant.

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24/01/2006
Port de pêche d’Agadir. Le vent est faible. Personne sur la plage avant 9 heures. Une lanche traverse lentement l’horizon. Nous avons été présentés, en procession, le kayak à Mbarak, la chef de village de la tribu des Barikala.

Une femme âgée, à l’embonpoint marqué, trône de tout son long sous une khaïma bordée d’un léger muret. Tout le petit monde d’îlotiers semble lui marquer beaucoup de déférence. Elle acquiesce tandis que ses femmes de chambre au sourire blanc d’émail entament une chanson joyeuse. Je peux mettre à l’eau.

il y a une belle plage au nord du Cap El Zass mais impossible de tirer le kayak à marée basse. Je double le cap avec difficulté en touchant les rochers. La mer est assez formée et le vent de côté m’oblige à maintenir le gouvernail toujours à fond.

Les plages sont devenues difficiles à aborder avec des rouleaux qui se brisent sur le sable et emplissent le trou d’homme du kayak.

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25/01/2006
Il fait si frais ce matin. Pour la première fois, je découvre ma tronche dans l’acier du miroir d’appoint. Portage long et pénible. Parti vers 10h et demie.

Suleyman Ablou Naigi m’invite sur sa lanche au mouillage. Une sorte de pirate gît à l’arrière. En fait, un pasteur perdu sur la mer et gagné par le mal de mer. Suleyman m’offre le riz et le thé.

Tandis que l’apprenti marin geint au soleil. La lanche est celle d’un boutiquier, un certain Sidi Mohamed Ould Sahelin de Ten Alloul. Il me dit qu’il va jusqu’à 50 km en mer et plus pour lever des filets de 400 mètres qu’ils mettent à flotter.

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27/01/2006
En vue de la plage d’Arkeiss. Un homme semble m’attendre. Il me rejoint entre vasière et banc de sable.

« Je t’attendais plus tôt, tu as duré ! »

Hartoune Hamady Mouknasse, c’est le chef de village, mareyeur, chef de poste du parc et responsable du campement. Plat de courbine et cannette de cola.

Deux enfants sur le tapis épais. Un chat. Les batteries rechargent. Au loin, dans l’encoignure de la porte, le kayak tangue avec la marée montante.

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28/01/2006
Hartoune m’offre encore quelques histoires avant mon départ. Celle des interdits par exemple. Dans sa tribu, on ne consomme pas le cœur des dromadaires car une nuit, l’un de leur illustre ancêtre fut sauvé par l’explosion d’un cœur jeté au feu provoquant la fuite de bandits prêts à le détrousser.

Et puis cette autre histoire d’un cormoran qui a sauvé un ancêtre touché par une flèche dont le sang coagulé l’avait maintenu couché sur un rocher. Le cormoran en se gavant du sang le libera. Dès lors les cormorans ne garnissent les plats.

Et celle de l’or qui est interdit même pour les femmes parce qu’il provoqua un conflit entre membres de la même tribu. C’est ce qui s’appelle de l’expérience empirique au service de la communauté et pourquoi pas de l’environnement ! Nous tombons d’accord. Tout cela est de l’ordre du possible.

Il me tend une photo datant de 1934, légendée Cheikh Ould Mouknass, tribu des Gar’a, fraction Abel Laghzal. Il me parle aussi de ce savant arabe Cheirk Mamldoul Mami qui vers 1850 a tout prédit à la lueur du Coran : les avions dans le ciel, les trains...

Et puis cette histoire déjà entendue concernant René Caillé, le fameux « découvreur de Tombouctou », appelé Kaizé N’Zrani (l’étranger) ayant emprisonné un marabout connu qui s’enfuyant de l’île d’Arguin vers le désert en passant à marée basse par une langue de sable. Cet épisode illustre la complexité des contacts entre Européens et résidants transhumants du Banc d’Arguin.

Arrivé à la première île, Echakcher, l’île aux cormorans, vers 10 heures. Vers midi, arrivée à la seconde, la grande Kione, rebaptisée l’île du hiboux. Vers une heure trente, contourné la Petit Kione et son pont naturel. Effectué le tour des trois îles et relié Iwik au sud de nuit, les pieds dans la vase.

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29/01/2006
Escapade à Nouadhibou. Perdu au retour. Étions à 100 kilomètres trop au sud. Plus de gasoil, détour de plus de 100 km, un pneu crevé, 12 C°, arrivés vers 4h30 du matin à la base d’Iwik.

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30/01/2006
J’apprends que le mulet est un poisson herbivore, que la pêche à pied au filet à l’aide des dauphins est devenue plus qu’occasionnelle, que le mulet passe ici de début août à la fin décembre, que la dorade, elle suit le mulet,

que la courbine hiverne ici de fin janvier jusqu’à juin, que la sole apparaît en septembre, que les petits requins d’1m40 qu’ils pêchent par centaines de kilos sont des « requins à museau pointu » qui se reproduisent aux alentours des îles Kione dont c’est l’aire de fraie mais que ceux-ci ne sont pas concernés par les réglementations de limitation de pêche de l’IMROP (l’institut mauritanien de recherches océanographiques et de pêche de Nouadhibou).

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31/01/2006
Ce matin, je pars vers le Sud, vers Tessot et son chenal. Je pense qu’il doit y avoir peu de lanches. Je laisserai à ma gauche les îles perdues dans la vase et longerai Tidra par l’Est.

J’apprends que la pêche à pied à l’aide de dauphins existe encore mais uniquement lorsque les bancs passent le long du rivage de juillet à octobre.

Il parait même que les mulets de 3 kilos blessent les hommes en tentant d’échapper aux mailles du filet. Observé deux dauphins chassant dans un chenal côte à côte avec méthode et élégance.

Le kayak posé dans la vase. La mer monte petit à petit dans une zone qui accuse des décalage de marées jusqu’à 7 heures par rapport au littoral. Attendant que la marée monte, les dauphins offrent un beau spectacle.

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